Je vais m’intéresser maintenant au lien qu’entretiennent ces deux siècles dont je viens de vous parler. Le XVIème et le XVIIIème siècle avec leurs ressemblances et leurs différences. On remarque déjà facilement que certains thèmes sont récurrents et souvent abordés durant les deux siècles.
Les critiques à l’encontre de la religion de la part de certains écrivains existent au XVIeme siècle.
- Ces satires s’adressent à différents points de la religion dont par exemple le clergé :
Rabelais, dont j’ai parlé plus tôt, critiquait explicitement le clergé à l’aide notamment de la figure de Frère Jean des Entommeurs dans son livre Gargantua.
Et bien justement on voit qu’au XVIIIème siècle, le clergé est aussi extrêmement critiquée par Voltaire, par exemple dans son conte philosophique l’Ingénu. En effet, dans ce livre, l’auteur critique l’interprétation des textes religieux et leur application dans la société. A l’aide du personnage du Huron, il permet au lecteur de voir les choix et pratiques du clergé catholique avec les yeux de l’innocence et donc mettre en valeur leur côté plus qu’absurde.
On remarque qu’en plus d’avoir ce même sujet, les deux auteurs forment leur critique à travers l’un de leurs personnages, comme pour déléguer leur rôle à un personnage de fiction et ainsi éviter la censure.
- La critique n’était pas forcément destinée au clergé mais pouvait tout aussi bien être dirigé contre les fanatiques :
Au XVIème siècle, l’illustre poète Ronsard fait une critique religieuse dans Discours des misères de ce temps parce qu il critique les protestants par des propos polémiques, politiques souvent sous la forme allégorique. Il ridiculise les théologiens protestants avec l’image d’un monstre. Mais il critique aussi les catholiques ! Mais de manière beaucoup plus cachée aussi évidemment pour éviter la censure.
C’est au tour de Voltaire au XVIIIème de satiriser les fanatiques religieux avec son Article Fanatisme, qui apparait dans Dictionnaire Philosophique. Au titre, on sait déjà sur quel sujet portera le texte et justement, Voltaire, reprochant l’excessive prudence de l’Encyclopédie, rédige l’oeuvre véhémente du dictionnaire philosophique portatif pour faire passer les idées des Lumières de manière plus directe et efficace. Il compare dans cet article le fanatisme à une maladie et en propose un remède.
- Enfin les croyances mêmes étaient remises en cause par certains philosophes, souvent scientifiques :
Descartes, mathématicien, physicien et philosophe du XVIème siècle, se rallie au système cosmologique copernicien qui prône le modèle héliocentrique. Cette nouvelle vision s’oppose au géocentrisme parce que ce n’est plus la Terre qui est au centre de l’univers mais le Soleil. Ces nouvelles idées révolutionnent la philosophie, la science et la théologie alors il cache ses opinions sur l'homme et le monde dans les pensées métaphysiques pour éviter la censure. Au XVIIIème siècle, on retrouve les mêmes opinions sur l’Univers dans l’Encyclopédie qui décrit et diffuse le modèle héliocentrique et ses fondements mathématiques. Les encyclopédistes ont documenté un ensemble d'articles sur l'astronomie où l'on décrivait les planètes du Système solaire pour faire triompher le système copernicien.
Les Essais de Montaigne sont l’oeuvre majeur de Michel de Montaigne, à laquelle il travaille de 1572 jusqu’à sa mort. Ils abordent tous les sujets possibles telles que l'homme, la médecine, les livres, les affaires domestiques, les chevaux, la maladie etc.. mais surtout des exemples sur sa propre vie, le tout formant “un pêle-mêle où se confondent comme à plaisir les choses importantes et futiles.” Il dénoncait principalement les traditions religieuses, les procédures judiciaires et les violences lors des colonisations d’Amérique.
Cette réflexion approfondie sur la question fondamentale de ce qu’est l’homme a fait de Montaigne un écrivain reconnu à travers les siècles.
Et justement ! Au siècle des Lumières, plusieurs penseurs admirent son oeuvre comme Montesquieu qui dans ses Pensées loue Montaigne : “Dans la plupart des auteurs je vois l'homme qui écrit ; dans Montaigne, l'homme qui pense.”
Voltaire parle aussi de l’écrivain et son oeuvre dans Remarques sur les pensées de Pascal :
“Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre naïvement, comme il a fait! car il a peint la nature humaine. (...) Mais un gentilhomme campagnard du temps de Henri III, qui est savant dans un siècle d’ignorance, philosophe parmi les fanatiques, et qui peint sous son nom nos faiblesses et nos folies, est un homme qui sera toujours aimé.”
Et vous savez quoi ? Même Diderot a fait l’éloge de cette homme du XVIème siècle en disant :
“Montaigne est riche en expressions, il est énergique, il est philosophe, il est grand peintre et grand coloriste. Il déploie en cents endroits tout ce que l'éloquence a de force ; il est tout ce qu'il lui plaît d'être... Parmi le grand nombre de jugements divers qu'il prononce au chap. des livres, il n'y en a pas un où l'on ne reconnaisse un tact sûr et délicat.”
Cependant, malgré l’apparente majorité des grandes figures intellectuelles du siècle a apprécié l’œuvre montanienne, Vauvenargues et Rousseau demeurent plus réservés :
“Montaigne a été un prodige dans des temps barbares ; cependant, on n'oserait dire qu'il ait évité tous les défauts de ses contemporains ; il en avait lui-même de considérables qui lui étaient propres, qu'il a défendus avec esprit, mais qu'il n'a pu justifier, parce qu'on ne justifie pas de vrais défauts.” - Vauvenargues
“Ô Montaigne, toi qui te piques de franchise et de vérité, sois sincère et vrai, si un philosophe peut l'être, et dis moi s'il est quelque pays sur la terre où ce soit un crime de garder sa foi d'être clément, bienfaisant, généreux, où l'homme de bien soit méprisable et le perfide honoré.” - Rousseau
Un autre thème important de la critique à ces deux siècles est celui de la société et de ses moeurs.
Au XVIème siècle, Le discours de la servitude volontaire de La Boétie est un texte qui critique certes le pouvoir mais aussi en grande partie la société, il lui reproche justement sa “servitude volontaire”. L’une des idées phares de La Boétie est que le renversement des régimes est essentiellement psychologique et le peuple est fautif, qu’il doit arrêter de se croire inférieur à son gouvernement pour retrouver facilement sa liberté.
Cette thématique de la liberté retournée influencera beaucoup Rousseau dans le Contrat Social au cours du XVIIIème siècle
Les moeurs de cette société sont aussi très satirisés par Régnier, un pète satirique du XVIème siècle dans Les Satires car le thème principal est le vice à l’intérieur de la société : “Riche vilain vaut mieux que pauvre gentilhomme” est une citation qui montre bien sa critique envers le pouvoir de l’argent.
Quant à Voltaire, son oeuvre Jacques le Fataliste est une constante critique de la société du XVIIIème siècle avec l’image du valet et de la bourgeoisie en pleine évolution.
Niveau politique, les deux siècles se ressemblent tout en divergeant parfois sur certains aspects.
Par exemple, L’ouvrage de La Boétie dont j’ai déjà beaucoup parlé et qui est une critique forte contre le pouvoir au XVIème siècle sera considéré comme un pamphlet contre la monarchie et sera réimprimé en 1789 contre Napoléon III. Il sera aussi plagié sous la révolution française par un de ses chefs, Marat, qui dans Les chaînes de l’esclavage, “s’inspire” de l’œuvre de La Boétie.
Cependant, pour le XVIIIème siècle, les philosophes et écrivains n’ont pas critiqué de façon très directe les rois. Certes ils étaient contre l’absolutisme, car les valeurs philosophiques étaient contre l’intolérance, le fanatisme, la barbarie de la guerre. Ils rejetaient l'absolutisme et prônaient donc la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) mais étaient généralement favorables au régime monarchique, sauf Rousseau qui était pour la démocratie. Politiquement, Candide de Voltaire est justement assez modéré. Il fait la satire de tous les gouvernements corrompus du monde, sauf l’Eldorado, sans prôner pour autant le renversement de ces gouvernements. Voltaire n’est pas révolutionnaire : il croit en effet que toute révolution instaure un système politique pire que son prédécesseur.
Mais, au niveau de l’art, les thèmes sont différents, le XVIème étant plus encore dans les peintures religieuses tout en la réformant discrètement et le XVIIIème sur des peintures plus politiques ou adressés à la royauté.
Certaines ressemblances et différences se remarquent aussi au niveau des stratégies d’évitement de la censure. Aux deux siècles, le fait d’avoir des relations au sein du pouvoir ont permis à beaucoup d’artistes de l’éviter ou du moins de minimiser la censure.
Mais par exemple, l’auto-censure se remarque assez peu au XVIème siècle alors qu’elle est bien plus présente au XVIIIème siècle.
Ces deux siècles ont réellement un point commun existentiel, et peu de différences. Et pour cause, le but partagé est d’éclairer le peuple pour faire évoluer la société, remettre en cause les pouvoirs politiques et religieux pour les rendre moins absolus et ainsi faire avancer le monde et la science vers un futur plus heureux, un progrès.
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