Diderot

Le thème de la censure au XVIIIe siècle ne peut pas être abordé sans passer par Diderot. Grand philosophe et écrivain des Lumieres, il est également resté dans les mémoires de la culture francaise grâce au plus grand projet de sa vie, et également la plus large collection de savoirs a l’époque, l’Encyclopedie, co-éditée avec d’Alembert ( je parlerai plus en profondeur de cette oeuvre dans un article prochain).

Diderot était avant tout un des philosophes les plus prominents du siècle. Mais, il était aussi instruit dans de nombreux domaines des sciences, arts et techniques artisanales, savoirs qu’il acquiert durant sa jeunesse. En effet, durant ses premieres années a Paris, il enseigne la musique, les mathématiques, et devient aide de notaire (entre autres), avant d’être écrivain à plein temps. Ce sont durant ces années que la philosophie pique son intérêt. Il devient, par la suite, un grand amoureux du savoir, pour qui le bonheur viendrait presque main en main avec le progrès intellectuel.

Son point de vue politique était donc que les sujets d’un pays sont heureux si le savoir ne leur est pas interdit ou limité. Il est facile d’en déduire qu’il ne portait donc pas un regard très positif sur la censure.

Son dédain pour la censure est accentué par l’interdiction presque systématique de ses oeuvres. D’abord ce sont ses pensées philosophiques qui sont condamnées, puis il est /emprisonné pour les bijoux indiscrets, et la lettre sur les aveugles a l’usage de ceux qui voient; tous plus polémiques et scandaleux les uns que les autres. Impuissant, il promet de ne publier aucun de ces trois ouvrages dans le futur, ou d’autres de ce même genre (promesse qu’il ne tiendra évidemment pas).

Nombreuses de ses prochaines oeuvres sont publiées de maniere a éviter plus ou moins bien des édits indésirables. D’un côté, sa relation avec l’impératrice Catherine II de Russie l’aide a contourner certaines limites, mais elle est tout de même loin de les dépasser toutes. Les critiques portées sur l’Encyclopedie sont tellement fortes que le seul moyen de poursuivre sa publication est de la rendre clandestine. Ce type de publication est en réalité assez courant à cette époque, aboutissant à de complexes réseaux illégaux qui bénéficierent grandement à notre auteur. Cependant, la relation de Diderot avec la censure ne s’arrête pas là.

Diderot proteste la censure de manière virulente dans l’Encyclopédie, où il y fait très clairement référence. Mais il en est également question dans d’autres de ses oeuvres. La censure subie par “Jacques le fataliste”, roman philosophique, est importante. Ce ne sont cependant ici pas principalement les thèmes philosophiques de l’oeuvre qui sont censurés, mais plutôt les parties non conformes aux moeurs de l’époque, dont une large partie des amours de Jacques.

Mais, à cette censure s’additionne une autre, qui pourrait sembler étrange de la part de Diderot. L’autocensure.

Illustration de Jacques le fataliste

En effet, Diderot fait usage de cet outil pour deux raisons. L’une, surtout esthétique, à a voir avec le fait qu’un récit, selon lui, ne devrait pas tout dire. Une prose trop explicite ne laisse aucune place a l’imagination du lecteur, qui aura plus d’intérêt à comprendre les insinuations de l’auteur par lui-meme qu’à les lire mot pour mot.

Cette autocensure a aussi un but pratique. Si Diderot censure son propre livre, c’est aussi pour que personne d’autre ne le fasse a sa place. En effet, au lieu d’en enlever une section qui aurait été censurée par un autre, l’auteur peut la remplacer par une de ces insinuations qui bénificiront sa thèse plus que si elle était absente. Diderot prouve donc par cette manoeuvre que tout est bon en modération, puisque celle-ci peut produire un effet supérieur, tout en semblant plus innocente.