Alors pour continuer sur cette chère Renaissance, parmi les affaires de mon père se trouvait un manuscrit très ancien mais pourtant bien conservé. Sa conservation est surement dûe en partie par le fait que mon père était assez méthodique et prenez grand soin de ses affaires. (Ce qui n’est pas le propre de l’artiste malheureusement pour moi !)
Seulement, le titre est devenu complétement illisible avec le temps et il manque certaines pages dont très probablement celle où apparaissait le nom de l’auteur... je ne possède donc aucune information à part la date : 1549. J’ai entrepris de le lire et j’ai découvert que ce manuscrit était une sorte d’essai à propos du pouvoir, de la tyrannie et de la servitude du peuple. Un sujet qui forcément m’intéresse beaucoup.
Certains passages m’ont énormément plu car l’auteur explique ses idées philosophiques très profondes sur l’absolutisme en les démontrant à l’aide d’exemples historiques.
“Aux batailles si renommées de Miltiade, de Léonidas, de Thémistocle 5, qui datent de deux mille ans et vivent encore aujourd’hui, aussi fraîches dans les livres et la mémoire des hommes que si elles venaient d’être livrées récemment en Grèce, pour le bien de la Grèce et pour l’exemple du monde entier (...) Mais aussi, dans ces glorieuses journées, c’était moins la bataille des Grecs contre les Perses, que la victoire de la liberté sur la domination, de l’affranchissement sur l’esclavage.”
Il va ainsi faire référence à des figures de héros antiques qui ont défendu la liberté les armes à la main. Et ces exemples d’autorité sont absolument indiscutables ! Justement parce qu’ils sont atemporels et universels. “Ils sont vraiment miraculeux les récits de la vaillance que la liberté met dans le cœur de ceux qui la défendent !”
L'idée centrale du texte est que la tyrannie, c'est à dire la domination absolue d'un seul homme, est inexplicable à moins que le peuple consente volontairement à la servitude. Et c’est avec conviction que cet auteur va ainsi accuser la société de se soumettre de bonne volonté à la tyrannie:
“C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d’être sujet ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse. (...)
La seule liberté, les hommes la dédaignent, uniquement, ce me semble, parce que s’ils la désiraient, ils l’auraient : comme s’ils se refusaient à faire cette précieuse conquête, parce qu’elle est trop aisée.”
Ses thèses défendues sont que le tyran est souvent un homme faible, comme les autres. Il n’y a d’oppression que volontaire. Les peuples sont responsables de leur soumission. L’usage de la raison fera disparaître chez les peuples le besoin d’être trompé et dominé.
L’auteur se demande alors qu’est-ce qui fait qu’un peuple puisse être l’instrument de son propre esclavage ?
Pour lui, trois raisons peuvent expliquer cette attitude :
1) L’habitude ou la coutume
2) La manipulation du puissant
3) L’intérêt ou le profit
L’habitude ou la coutume pourrait expliquer cet asservissement étant donné que les régimes sont fondés sur la peur qui sert à dissimuler l’absence de légitimité de cette tyrannie. Ainsi, le peuple s’auto-soumet aux pouvoirs en place, par simple habitude, par récurrence historique.
“La première raison pour laquelle les hommes servent volontiers, est parce qu’ils naissent serfs et sont nourris comme tels.”
La manipulation que le tyran exerce joue un rôle important pour maintenir son pouvoir car en cherchant à abrutir ses sujets, il les soumet. L’alcool, le sexe, les jeux : autant de moyens de contrôler le peuple en assouvissant ses désirs les plus bas. A cela s’ajoutent la religion et la superstition, indispensables pour garder le pouvoir.
“Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie.”
Le profit que certaines personnes tirent de cette tyrannie aide le puissant à asseoir son pouvoir. Les tyrans créent une structure de pouvoir très élaborée, consistant en une hiérarchie à plusieurs niveaux. Ainsi il ne dirige pas une foule du même niveau et donc unie, au contraire il la divise pour que les différents ordres controlent ceux qui leur sont socialement inférieurs. Pour se maintenir en place, le tyran a besoin d’un petit nombre d’individus qu’il laisse profiter du système.
“En somme, par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait.”
Bon mais à quoi cela servirait de critiquer sans proposer de solution ? Ainsi, après avoir mis en lumière les tords de cette société soumise, il explique clairement comment ne plus l’être:
- Pour cela, il insiste sur le fait qu’il faut d’abord la vouloir, cette liberté. C’est grâce notamment à l’éducation et le savoir que l’homme est capable d’être libre et éveillé en s’écartant ainsi de l’ignorance qui le maintient dans la servitude.
“Et pourtant ce tyran, seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni même de s’en défendre ; il est défait de lui-même si le pays ne consent point à la servitude.
- Ensuite, il suffirait juste que les hommes arrêtent d’avoir peur et de se soumettre, que la base de la structure en place renonce à soutenir l’édifice social pour que celui-ci s’écroule de toutes pièces.
“Il ne s’agit pas de le lui arracher, mais seulement de ne rien lui donner.”
“Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.”
“Si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien.”
Jeune en effet, car La Boétie rédige ce livre en 1549 à l’âge seulement de 19 ans !
J’ai aussi compris pourquoi je possédais un manuscrit très ancien et non pas un ouvrage imprimé. C’est parce que jusqu’à sa mort (en 1563), La Boétie décidera de ne pas imprimer son oeuvre mais de faire une circulation manuscrite confidentielle pour ainsi pouvoir contrôler la diffusion de ses idées sans pour autant se mettre sous le joug de la censure. Effectivement, la censure aurait sans aucun doute réagi car il s'agit d'un texte politique essentiel qui aborde le thème très polémique à l’époque, celui de la légitimité de l’autorité sur une population et qui essaie d'analyser les raisons de la soumission de celle-ci (rapport domination / servitude).
Il restera ainsi confidentiel de nombreuses années et la première publication ne s’effectuera qu’en 1576, par des protestants, qui, persécutés, ont rebaptisé l’œuvre Le Contr’un pour en faire un outil de contestation politique contre le roi de France catholique.
Avec la diffusion confidentielle, La Boétie arrive tout de même à étendre ses idées qui atteindront plusieurs humanistes de l’époque, dont, notamment, Montaigne.
En lisant ce texte manuscrit, Montaigne va chercher à en connaître l'auteur. De sa rencontre avec La Boétie naît alors une amitié qui va durer jusqu'à la mort de ce dernier. Il louera même le discours de son ami dans une de ses oeuvres.
Voici ce qu’il en dit dans le chapitre XXVIII des Essais (1572-1592) : « C’est un discours auquel il donna le nom de La Servitude volontaire, mais ceux qui l’ont ignoré l’ont bien proprement depuis rebaptisé Le Contre’un. Il l’écrivit par manière d’essai en sa première jeunesse, à l’honneur de la liberté contre les tyrans. »
No hay comentarios:
Publicar un comentario