miércoles, 3 de febrero de 2016

L'Encyclopédie, grande oeuvre du XVIIIè


Voici un sujet dont je voulais réellement vous parler. Que représente, pour moi, l’Encyclopédie? Pourquoi est-elle si importante, à l’intérieur, et en dehors, du cadre de notre sujet? Pourquoi mérite-t-elle un article à elle seule? Eh bien, c’est très simple. Comme vous finirez par le comprendre, cette collection monumentale de savoir est à la fois le symbole même de la résistance face à l’oppression littéraire (que celle-ci a d’ailleurs tenté de faire taire à plusieurs reprises), et un réel effort pour faire accéder le peuple et la petite bourgeoisie à l’extension de tous les savoirs techniques, scientifiques, et philosophiques. Pour les encyclopédistes, le savoir, c’est le chemin vers la liberté individuelle, l’affranchissement, la destruction d’une société injuste faite de castes, et au bout du chemin… le bonheur.

Même si Diderot en a été l’éditeur principal, il n’en  a pas été le seul, car d’Alembert l’accompagna également, en tant que son égal, durant la majorité du projet. Et, leurs noms ne sont certainement pas les seuls à devoir être retenus. Plus de mille personnes contribuèrent au Livre, les plus connus étant Voltaire, Montesquieu,  Jaucourt, Holbach, Condillac, l'abbé de Raynal, et de Mably   (Ces deux derniers allant contre les avis de l'Eglise, qui critiquait fortement l’Encyclopédie). L’idée de l’entreprise est très bien résumée par Diderot, dans son article "Encyclopédie":

"Le but de l'Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre (...) afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été inutiles pour les siècles qui succéderont; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux (...)."

Il s'agit donc de ne pas répéter les erreurs de perte de savoir commises au Moyen Âge, en partageant ses connaissances avec tous, pour le bonheur des générations futures. Si je cherchais à apporter ma propre définition, je dirais probablement que l'Encyclopédie est la "popularisation du savoir", la volonté d'apporter ce privilège à tous ceux qui le veulent.

Frontispice de l'Encyclopedie, une representation
allegorique et idealisee de la Raison.
Pour arriver à cette fin, les nombreux auteurs devront analyser tous les concepts de la condition humaine, ainsi que celle de la société, la nature, et l'univers, entre de nombreux autres, à travers, bien évidemment, d'une constante raison. Non, non, je n'exagère pas, voyez ce qu'en dit Diderot:
"Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement. (...) Il faut fouler aux pieds toutes ces vieilles puérilités; renverser les barrières que la raison n'aura point posées; rendre aux sciences et aux arts une liberté qui leur est si précieuse (...)."

Logiquement, toute la société de l'époque n'était pas très enthousiaste face à une poignée de philosophes remettant tout (absolument tout) en cause. Vous voyez bien où je veux en venir n'est-ce pas? Non? Mais à la censure écclésiastique bien sûr! Les jésuites, dès les débuts, font interdire les deux premiers volumes par le conseil d'Etat en 1752. Lorsque l'impression reprend, les critiques n'abandonnent pas, et les ouvrages suivants sont également traîtés. Mais, ne croyez pas que l'Eglise est seule dans cette histoire. C'est très largement l'Etat qui prend en main cette censure des deux premiers volumes, dont il n'approuve pas non plus:
«Sa Majesté a reconnu, que dans ces deux volumes on a affecté d'insérer plusieurs maximes tendantes à détruire l'autorité royale, à établir l'esprit d'indépendance & de révolte, &, sous des termes obscurs & équivoques, à élever les fondements de l'erreur, de la corruption des moeurs, de l'irréligion & de l'incrédulité: Sa Majesté, toujours attentive à ce qui touche l'ordre public & l'honneur de la religion, a jugé à propos d'interposer son autorité. (...) Le ROI (..) a ordonné & ordonne que les deux premiers volumes de l'ouvrage intitulé, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, Arts & Métiers, par une Société de gens de Lettres, seront & demeureront supprimés.»

L'acharnement contre ce recueil est tel, que Voltaire ne le supportant plus, abandonne le projet en disant :
“C'est bien dommage que, dans tout ce qui regarde la métaphysique et même l'histoire, on ne puisse pas dire la vérité. (... ) On est obligé de mentir et, encore, est-on persécuté pour n'avoir pas menti assez. “

Il fait ici référence au fait que les auteurs ont, pour ce projet, dû limiter largement ce qu’ils disaient, de peur de se faire interdire. Avec un projet d’une telle répercussion, il est compréhensible que Voltaire en ait eu assez de mentir (par omission), simplement pour pouvoir rester dans ce qui était jugé “convenable“ à l’époque.
Ce constant acharnement contre l’oeuvre est tel que le co-éditeur, d'Alembert va jusqu’a renoncer à son poste, se limitant à apporter quelques articles, sans s'occuper des difficultés de la publication.

Et pourtant, après tous ces efforts contre elle, l'Encyclopédie arrive (quoiqu'un peu péniblement) au bout de sa réalisation. L'ouvrage avait, d'un côté, obtenu les faveurs du roi en 1748, avant sa parution. Après sa première censure, il obtint aussi les faveurs du nouveau directeur de la Librairie, Malsherbes, et de certaines personnes haut-placées dans la société. Cela permet la reprise de l’impression, mais celle-ci resta tout de même surveillée de très près. Cinq autres volumes paraîssent dans ce temps, mais le projet est de nouveau condamné par le Conseil d’Etat, et, cette fois-ci, le pape Clément VII en plus, en 1759. C’est alors que l’Encyclopédie passe à une impression clandestine ( les souscripteurs attendaient impatiamment la suite). En effet, sous le nom d’un éditeur Suisse, il est plus facile de faire accepter le sceau confirmant l’approbation royale du livre (celui-ci est falsifié en province). Cette stratégie lui permet de circuler bien plus librement. Après de nombreuses autres critiques, obtentions d’autorisations, et révocation de ces autorisations, le projet est (enfin) publié dans sa totalité en 1766.
Mais à tous ces stratagèmes s’ajoute une volonté interne au texte de s’opposer aux censeurs. Un exemple qui m’a marqué est celui de Diderot confrontant, de manière très directe, ses censeurs dans l’article “Encyclopédie“ :
“ Nous avons déjà remarqué que, parmi ceux qui se sont érigés en censeurs de l’Encyclopédie, il n’y en a presque pas un qui eût les talens nécessaires pour l’enrichir d’un bon article. Je ne croirois pas exagérer, quand j’ajoûterois que c’est un livre dont la très-grande partie seroit à étudier pour eux.“

D’une manière que je trouve plutôt habile, Diderot fait ici à la fois l’insulte des censeurs, et l’éloge de son œuvre, en affichant ses participants comme faisant partie d’une élite talentueuse (qu’elle était). Il y a, comme cela peut sembler logique pour une oeuvre qui a pris presque 30 ans à rédiger, bien plus d’exemples de ce genre, où les Encyclopédistes se voient obligés de répondre aux lourdes critiques, mais j'ai choisi celui-ci, car il est le plus ouvertement impertinent et confrontationnel; et un des plus forts, grâce à sa logique difficilement contestable.

Pour un autre exemple de résistance, prenons l'article "invention" de Jaucourt. Ici, l'auteur fait une claire référence à la nécessaire protection de la part du pouvoir. Le livre où il publie lui-même cet article n'a aucune chance d'exister sans une forte protection:
“Mais pour le succès de cette entreprise, il est nécessaire que le gouvernement éclairé daigne lui accorder une protection puissante & soutenue, contre les injustices, les persécutions, & les calomnies de ses ennemis.”

Dans cet article, nous pouvons aussi reconnaître une critique de la censure portée sur l’Encyclopédie (“injustice, persécutions,etc...“), dissimulée quelque peu par le titre faussement innoffensif d’ ”invention”.
L’avertissement de l’Encyclopédie par d’Alembert peut être considérée comme une sorte de suite logique à cette notion de pouvoir. Ce texte dit que les hommes politiques tireraient même du profit à soutenir ce projet:
 [parlant des Lumières] “C’est aux Maîtres du monde à hâter cette heureuse révolution. (...) Heureux le temps où ils auront tous compris que leur sécurité consiste à commander à des hommes instruits ! Les grands attentats n’ont jamais été commis que par des fanatiques aveuglés. Oserions-nous (...) regretter nos années de travaux, si nous pouvions nous flatter d’avoir (...) amené nos semblables à s’aimer, à se tolérer & à reconnoître enfin la supériorité de la Morale universelle sur toutes les morales particulieres qui inspirent la haine & le trouble(...)?”

Donc, non seulement un tel projet a un réel besoin des dirigeants de l'Etat, mais l'Etat en bénéficierait aussi. Une société instruite mêne à une société sans confrontations et guerres inutiles, sans haine aveugle, et, par conséquent, plus sûre pour ceux qui la dirigent. D'ailleurs, même si d'Alembert ne le mentionne pas ici, ce serait aussi une bonne chose d'un point de vue économique, puisqu'une personne possédant des connaissances est généralement capable de produire plus de revenu qu'une autre.
Pour la fin, je vous ait réservé l'article "critique" de Marmontel. Je l'ai trouvé d'une ironie particulièrement fine et interessante.
Il commence par critiquer les critiques elles-mêmes, qui se croient en mesure de tout critiquer. Celles-cis sont souvent, pour lui, comme des nains qui rabaissent à leur échelle des œuvres qui leur sont bien supérieures, et ne sont donc pas en mesure de comprendre.
Il enchaîne ensuite sur les petits auteurs trop contents de répondre à leurs critiques, la seule chose qui les tire de l’ombre. Mais, l’intérêt central de l’article n’est pas là. C’est plutôt vers la fin, où il introduit une technique pour résister à la censure:
“Quant à ce qui se se passe de nos jours, nous y tenons de trop près pour en parler en liberté ; nos loüanges & nos censures paroîtroient également suspectes.“

Bien évidemment il ne pouvait pas dire directement qu’il donnait là une alternative à la censure. D’où le côté doublement ironique de ce qu’il dit: Il nous dit comment éviter la censure, tout en l’évitant lui même en utilisant de l’insinuation. Le sous-entendu de la phrase ci-dessus est que nous ne pouvons pas parler de l’actualité sans être censuré, et qu’il faut donc en parler en la déguisant comme si elle appartenait à une autre époque. C’est d’ailleurs ce qu’il fait, en prenant des exemples tels que Racine pour parler de ces contemporains. Il utilise encore une fois une insinuation pour nous faire comprendre cette manœuvre:
“Mais si quelque trait de cette barbarie que nous venons de peindre, peut s’appliquer à quelques-uns de nos contemporains, loin de nous retracter, nous nous applaudirons d’avoir présenté ce tableau à quiconque rougira ou ne rougira point de s’y reconnoître.“

Traduction: Il fait exprès d’utiliser des exemples qui coïncident avec son époque, les traitant (en parfaite mauvaise foi, bien sûr) comme étant une pure coïncidence. Et, puisqu’il nous le dit plus ou moins explicitement, il l’assume totalement, ou du moins, jusqu’au degré que le lui permet la censure.

Cependant, à la fin, il nous met en garde:
“mais la vérité vient toujours à-propos dès qu’elle peut être utile.“

Tous ces incessants tours autour de ce qu’il veut réellement dire ne doivent donc pas devenir la norme. Dès qu’elle peut être utile, c’est la vérité directe qu’il faut utiliser. Mais à quel moment est-elle utile cette vérité? N’importe où où la censure n’existe pas en réalité, car celle-ci est l’ennemie même de la vérité. Le message est donc clair. Malgré tous les efforts de dissimulation de marmontel, c’est en réalité contre le mensonge qu’il se bat, et pour le savoir.

Voilà sur quelle pensée je choisis de vous laisser au sujet de l’Encyclopédie. Elle est la représentante, la figure de tête de la vérité (et donc, l’antithèse de la censure) et du savoir, qui est le centre de sa raison d’être.

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